A l’occasion des 5 ans de la sortie de Civil War, et des 2 ans d’Avengers Endgame, il s’agira de revenir sur ces deux gros événements de l’univers Marvel, et de tenter d’expliquer pourquoi, malgré le succès populaire au box-office, ce sont des échecs cinématographiques, mais aussi en termes d’adaptations. Commençons par Civil War.
La perspective de voir adapté au cinéma un monument des comics Marvel tel que Civil War était un grand fantasme chez beaucoup de fans, mais cette annonce sonnait tout de même comme quelque chose de très peu rassurant.
Marvel ne pouvait pas adapter Civil War au cinéma. Pas maintenant. C’était beaucoup trop tôt, pour lui rendre justice notamment, mais aussi parce qu’on en était qu’au 13ème film du MCU, qui n’avait jusque-là, en dehors des Avengers originaux, abordé seulement les Gardiens de la Galaxie (absents du film bien entendu), et Ant-Man. Certains diront « De toute façon, ça n’aurait jamais pu être aussi bien que les comics ». En effet, c’était probablement voué à ne jamais égaler l’œuvre originale, mais ça n’empêche pas qu’avec les bons ingrédients, Marvel aurait pu nous offrir un moment de cinéma véritablement marquant, et déchirant. Seulement voilà, en ayant à peine le quart des ingrédients, nul doute que la recette ne pouvait être aussi réussie.
Civil War est censé être un conflit national, avec une population super-humaine nombreuse (héros comme vilains), où règne la peur. En effet, un des enjeux principaux de cette Loi gouvernementale est le recensement, donc la révélation des identités secrètes auprès des autorités. Ce qui est problématique pour un héros masqué, qui a peur pour sa famille si son identité venait à être découverte par ses ennemis. Cependant, dans le film, cette question d’identité secrète ne peut réellement constituer un enjeu, puisqu’aucun des 8 héros n’en a une.

Puis, une « guerre » à 8 personnes, ça va être difficile. Pour combler les trous, ils placeront Bucky au milieu, Ant-Man parce qu’il faut bien l’utiliser, et introduiront Black Panther et Spider-Man (fraichement récupéré chez Sony), parce que pourquoi pas ? Oui mais non en fait, 12 personnes c’est toujours pas assez pour prétendre assister à une véritable guerre. Les combats sont sympas 5 minutes, mais bon 12 types qui se cognent sur un tarmac d’aéroport (vide, comme c’est pratique), sur le papier, ce n’est pas spécialement engageant, surtout quand tu es censé adapter un événement aussi colossal que Civil War.
Sans oublier la présence d’un des meilleurs antagonistes du MCU (non), le grand Baron Zemo. Un personnage profond (non plus), qui permet d’apporter une révélation absolument saisissante (encore non). En effet, pour donner un prétexte à Iron Man de se battre contre Cap, on nous révèle que Bucky, sous l’influence du lavage de cerveau d’Hydra, a assassiné les parents de Tony. Celui-ci s’énerve contre Bucky, qui n’y est vraiment pour rien, et au lieu de s’en prendre à un des responsables, Zemo, il décide de se battre contre Cap, parce que quand même, on approche de la fin du film et ils se sont toujours pas tapés dessus.
En résulte un duel assez peu mémorable et inspiré. Même le plan iconique (ci dessous l’original vs l’adaptation) est raté. Un plan qui représente bien le talent des frères Russo : photographie terne (et laide), composition du cadre peu inspirée (quel intérêt de les placer entre 2 blocs de béton aussi peu esthétiques ?), et un décor vide, représentatif de la dramaturgie des comics, qu’on a vidé de sa substance.

Une synthèse du film en quelque sorte, qui engage des scènes d’action dans des décors très pauvres (le tarmac vide…), et qui ne propose rien d’intéressant d’un point de vue cinématographique. Les scènes d’action sont parfois assez illisibles, entre shaky cam et montage presque épileptique (20 cuts en 22 secondes pour une séquence avec Black Widow au début), qui témoigne d’un découpage mal pensé, avec trop de plans inutiles. La présence de Black Panther et Spidey apporte un vent de fraîcheur indéniable au récit, et élargissent l’éventail de chorégraphies, mais ceux-ci auraient pu être introduits dans d’autres films, ou juste dans une histoire différente.
Le plus gros problème réside cependant dans le timing. Adapter Civil War à ce stade, avec un effectif aussi maigre, c’est assurément la mort de tout enjeu dramatique. En effet, ayant encore Thanos à affronter dans un futur proche, il ne vaut mieux pas tuer de personnages, vu qu’ils ne sont que douze. Même War Machine, qui ne sert pas à grand-chose, ils n’ont pas osé le tuer. Pire que ça, on nous fait croire qu’il risque de ne plus pouvoir marcher, tout ça pour le voir à la fin commencer à se remettre sur pied grâce à une invention de Tony Stark. Pourtant, tuer le meilleur ami d’Iron Man aurait eu un impact certain dans les relations entre nos héros non ? De même qu’adapter Civil War après Endgame aurait pu, non seulement proposer une galerie de personnages plus large, mais aussi des enjeux plus émotionnels, car voir les héros se battrent entre eux après les épreuves traversées contre Thanos aurait été indéniablement déchirant.
Entre ses enjeux artificiels, et ses conséquences presque caduques (à la fin Cap dit littéralement que Tony peut l’appeler si besoin), on peut véritablement en conclure qu’adapter Civil War n’était pas le meilleur choix à faire, en tous cas, pas à ce moment-là. Le travail visuel n’était également pas à la hauteur de l’événement. Le film semble avoir été davantage créé (et précipité) en réponse au projet Batman v Superman chez DC Comics, que pour adapter intelligement une oeuvre phare de leur univers.
Revenons maintenant sur Avengers Endgame. Dans un Infinity War très réussi dans l’ensemble (certes pas très bien réalisé), Thanos fait sa véritable entrée dans le monde des héros, et devient presque le personnage principal du film, qui réussi à dresser un portrait nuancé et intéressant du plus grand antagoniste du MCU. La fin, brutale et tragique, laissait l’univers en deuil de 50% de sa population. Endgame, la suite tant attendue, partait sur un postulat très riche en dramaturgie. Une situation proche de la brillante série HBO The Leftovers, qui permettait, à travers la lourde tâche des Vengeurs, de traiter le deuil, la culpabilité, la dépression… Bref, il y avait de quoi faire.
Seulement, Marvel a une fâcheuse habitude : gâcher un ton plus dramatique au profit d’un humour parfois douteux. Dans Infinity War, quelques touches d’humour subsistaient, au milieu d’un film qui se prenait très au sérieux, mais elles étaient bien dosées et ne venaient jamais atténuer la tension. Dans Endgame, c’est tout l’inverse.

Passé une bonne introduction à l’ambiance pesante pour retrouver Thanos et tenter d’inverser le « snap », les choses se gâtent. Au bout d’une vingtaine de minutes, le film arrive dans une impasse narrative, dont il semblait difficile de sortir, certes, mais là, on atteint un sommet d’imbécilité. Scott Lang (Ant-Man) est coincé dans la zone quantique à cause du snap de Thanos. Sans lui, impossible de remonter dans le temps pour réunir les pierres d’infinité et ainsi ramener le monde à son état normal.
Les scénaristes, dans un éclair de génie, n’ont rien trouvé de mieux qu’un rat, qui actionne la machine en marchant dessus, et libère Scott de la zone quantique. Un rat. Qui marche au hasard sur des touches. On en a vu passer des Deus Ex Machina aberrants, mais celui-là… Surtout que ce n’est même pas pour se sortir d’une petite péripétie en cours de route, non là, sans ce fichu rat qui s’introduit dans la camionnette et qui marche sur le panneau de contrôle de la machine, il n’y a tout simplement pas de film.
Scott Lang serait resté enfermé à tout jamais, et les autres, pensant qu’il avait disparu avec le reste de la population n’ont pas pensé à le chercher. C’est déjà une première preuve que les scénaristes n’ont aucune envie d’assumer un ton dramatique, et de proposer un grand spectacle intelligent pour les spectateurs, qui devront accepter dès le départ une ficelle aussi grossière et bête.

Mais ça ne s’arrête pas là malheuresement. Le développement de certains personnages devient complètement grotesque. Le plus gros problème provient de Thor, évidemment. Celui-ci, rongé par la culpabilité d’avoir échoué à tuer Thanos avant le snap, décide de s’exiler… pour jouer à Fortnite et boire des bières. Oui, le Dieu du Tonnerre, fils d’Odin, combat sa dépression sur Fortnite. Lui qui avait connu une ascension remarquable entre Ragnarok et Infinity War, au maximum de ses pouvoirs et responsabilités, être maintenant réduit à un running gag lourdingue (il ressemble au Duke de The Big Lebowski), simplement parce que les scénaristes ont préféré faire des blagues plutôt que de traiter sérieusement sa dépression, est absolument affligeant.
Quelque chose de plus digne de son statut aurait pu être fait, comme un exil dans des mondes infernaux, où il s’infligerait d’immenses souffrances physiques, et déchaînerait sa culpabilité sur des créatures mythologiques par exemple… Là, ce n’est ni drôle ni intéressant comme développement, et il participe grandement à l’ambiance humoristique du film, qui parasite le potentiel dramatique de l’histoire.
Thor est l’exemple le plus probant mais ce n’est pas le seul personnage tourné en ridicule. Bruce Banner / Hulk, est également problématique dans ce film. C’était déjà assez inquiétant, dans Infinity War, de voir Mark Ruffalo en roue libre, interpréter son personnage comme un crétin. Une intention de jeu assez déconcertante (peu importe que ça vienne de l’acteur ou des Russo, ils en étaient visiblement tous satisfaits), puisque si on observe bien, et c’est le cas aussi dans Endgame, Ruffalo affiche parfois un sourire idiot alors même qu’il est en train de délivrer une réplique sérieuse dans une scène dramatique. Mais là dans Endgame c’est encore pire. En plus de passer parfois pour imbécile (alors que Banner est censé être brillant, et qu’il gardait son sérieux par le passé), il est également tourné en ridicule avec un autre effet de mode daté. Plus personne ne fait de « dab » depuis 2016, sauf Hulk. Oui, Hulk fait un dab. C’est déjà ringard.

Il y a déjà quoi soupirer très fort, mais les problèmes continuent de s’accumuler. En effet, les Avengers se réunissent pour tenter de fabriquer une machine à voyager dans le temps (dont le fonctionnement s’autocontredit), et échafauder le plan pour ramener les pierres d’infinités et ressuciter la moitié de la population mondiale. Sur le papier, ça va, seulement, dans l’exécution… Encore une fois, les scénaristes ont jugé bon d’apporter à nouveau quelques touches d’humour. Sauf que là, c’est vraiment déplacé. Même sans prendre en compte les caricatures que certains sont devenus, pour certains personnages comme Ant-Man ou Rocket, c’est dans leur ADN de faire des vannes, mais ce n’est clairement pas le moment. L’équipe a littéralement le destin de la moitié de l’univers sur les épaules, dont celui de leurs amis actuellement décédés, mais non, visiblement c’est normal de plaisanter quand on prépare le plan qui permettra de les sauver. Et c’est sans compter les conséquences désastreuses si ce plan venait à échouer. Heureusement que Steve Rogers est là pour redresser la barre.
Surtout que le fait que tous les personnages, même les ressorts comiques habituels, gardent leur sérieux dans cette situation raconte quelque chose justement sur leur caractère, leur façon de gérer le deuil, et donne du poids aux enjeux. A cet instant, on a limite l’impression que c’est une mission certes périlleuse, mais pas si importante que ça. C’est quand même aberrant à quel point les scénaristes refusent systématiquement d’exploiter le potentiel dramaturgique du récit, comme si en ajoutant de l’humour dans chaque scène, le spectateur allait pouvoir être davantage investi. Sauf qu’en embrassant le ton sérieux et dramatique de l’histoire, il était facile de créer de l’émotion, en plus de traiter des thématiques intéressantes.
Marvel n’a que faire de continuer de bâtir sur les fondations audacieuses d’Infinity War. Fini le Thanos nuancé, intéressant, presque émouvant. Il est maintenant réduit au statut d’antagoniste lambda de ce type de films. En effet, dans Endgame il s’agit de proposer le maximum de choses qui plaisent aux spectateurs : l’humour et le fan-service, pour assurer un succès facile au box-office. Attention, l’humour n’est pas à proscrire, mais il faut savoir l’utiliser avec parcimonie, et l’écrire intelligemment. De même pour le fan service, proposer des scènes, des moments pour satisfaire les fans, c’est tout à fait envisageable dans de telles adaptations, mais il faut éviter que ce soit purement gratuit. Par exemple, le fait de montrer que Captain America puisse manier le marteau de Thor, en plus d’être un moment réjouissant, c’est un point intéressant de caractérisation du personnage, brièvement évoqué dans Age of Ultron, démontrant à quel point Steve est valeureux.
A l’inverse, quand une partie de l’équipe se rend sur Morag en 2014 pour y récupérer une pierre d’infinité, avant que Star-Lord la dérobe au début du film Les Gardiens de la Galaxie, on assiste à nouveau à cette scène où il danse avec son walkman, Come and Get your Love dans les oreilles. Sauf qu’à priori, ils auraient très bien pu arriver un jour plus tôt que Peter Quill, et partir avec la pierre sans problème. Mais c’est sans compter la volonté des scénaristes de choisir la solution de facilité : arriver au même moment, pour que le spectateur revoie une scène très appréciée. Tout cela est bien sympathique, mais n’a aucune raison logique d’arriver, sauf pour faire du fan-service superflu. Ils ont même repris des plans du film, c’est dire jusqu’où va leur paresse.

Il existe également un gros problème, observable dans Endgame mais qui vaut aussi pour la majorité des films du MCU. Récemment, il a été révélé que Marvel Studios avait souvent recours à ce qu’on appelle la « pré-visualisation », une technologie qui permet pendant la production de visualiser en 3D à quoi va ressembler une scène (généralement les grosses séquences d’action), afin de préparer convenablement la logistique du tournage. Jusque-là, tout va bien, c’est monnaie courante d’utiliser cette technique sur de grosses productions, Brian De Palma l’a fait pour son Mission Impossible (1996), afin de concevoir la séquence d’action finale avec le train et l’hélicoptère. Sauf que chez Marvel, ils ont tendance à en abuser.
Qu’ils décident de prévisualiser la bataille finale d’Endgame, 3 ans avant sa sortie, peut-être même avant que le scénario soit achevé, pourquoi pas. Par contre, il semblerait que Marvel prévisualise presque toutes, voire l’entièreté des scènes de leurs films, avec un résultat final qui y ressemble comme deux gouttes d’eau. Même pour les scènes plus simples ou intimistes. A ce stade, ce n’est pas juste un storyboard en 3D. Quelle place est laissée au directeur de la photographie pour élaborer la lumière sur le plateau, ou même à l’équipe déco pour trouver des idées créatives et pertientes pour enrichir le décor ? Pas étonnant que les films Marvel se ressemblent tous visuellement, et que le travail sur les décors est souvent assez pauvre lors de scènes plus réalistes…
Il semblerait également que le superviseur de la prévisualisation fasse office de second réalisateur, allant jusqu’à modifier le scénario, décider des axes de caméra, et du positionnement des personnages dans le cadre… SI ce n’est pas une preuve que la plupart des réalisateurs chez Marvel sont interchangeables et qu’on n’y voit pas la différence… C’est une façon de procéder peut-être pragmatique, qui leur permet de mieux gérer leurs budgets, mais la composante artistique du cinéma, propre à chaque auteur, finit par se perdre dans le processus.
Cette technologie est évidemment très pratique, permettant de pouvoir se préparer au mieux, et d’éviter des problèmes quand il faut tourner de grosses « set-pieces », mais c’est aussi le meilleur moyen de laisser les ordinateurs réaliser le film, et de se retrouver avec des scènes d’action qui manquent de créativité et de talent dans la façon de penser son découpage, ses cadres, la chorégraphie etc… Si vous voulez voir en détails d’où sortent ces informations, vous pouvez visionner la vidéo d’Insider ici.

Evidemment, tout n’est pas à jeter dans ce film, il y a plusieurs moments marquants (même si ça aurait pu être mieux réalisé), et quelques scènes intimistes où l’émotion fonctionne. Il y a même une séquence, qui montre, qu’avec un peu d’effort, les Russos sont capables d’avoir de bonnes idées de mise en scène, à l’image de ce passage de nuit à Tokyo où l’on retrouve Clint Barton habillé en Ronin, qui tue des yakuzas, tout ça en un seul plan avec une caméra qui se déplace pour filmer les belles chorégraphies dans le décor, parfaitement éclairé par la lumière des néons.
C’est d’ailleurs la seule véritable séquence où les cinéastes semblent s’être creusés la tête pour trouver la façon la plus intéressante de la filmer. Ce qu’un réalisateur est censé faire pour l’entièreté d’un film, mais bon, chez Marvel, ce n’est pas simple d’imposer ses idées et son style. Demandez à Edgar Wright. De plus, Joe et Anthony Russo sont à la base des réalisateurs de Sitcom, donc peut-être qu’il ne faut pas trop leur en demander niveau mise en scène…
Après la fin de cette saga de l’infini, Marvel va devoir se réinventer, et peut-être donner plus de libertés aux artistes qui viennent travailler pour eux, afin de proposer plus de films originaux. Ce n’est probablement pas avec le film Black Widow que ça va arriver, mais on va suivre ça de très près.