IN THE MOOD FOR LOVE – CRITIQUE

Ce mercredi 21 juillet ressort au cinéma en version restaurée 4K le chef-d’oeuvre de Wong Kar-wai : In the Mood for Love. L’occasion de le (re)découvrir sur grand écran et prochainement en blu-ray. Tony Leung et Maggie Cheung incarnent M. Chow et Mme Chan, deux voisins découvrant que leurs époux respectifs sont amants. L’histoire se déroule à Hong-Kong dans les années 60, l’occasion pour le cinéaste de recréer ses souvenirs d’enfance. Le tournage fût particulièrement long, pendant 15 mois, le réalisateur et les comédiens tournaient et écrivaient ensemble le film au fur et à mesure, à partir de l’idée de départ. Pourtant, à l’écran, rien ne semble improvisé, on est face à l’oeuvre d’un artiste en totale maîtrise de ses idées.

Ce qui frappe en regardant In the Mood for Love c’est que presque tous les plans sont composés comme des « cadres dans le cadre », c’est à dire qu’au sein de l’image les personnages sont souvent vus à travers des encadrements de portes, des couloirs étroits, des barreaux de fenêtres, des miroirs etc. Ce procédé permet de souligner à la fois l’enfermement psychologique des personnages dans leur situation, mais aussi de donner au spectateur l’impression d’observer discrètement des moments intimes, comme un voyeur.

En effet, les personnages se sentent prisonniers de leur situation. Ils n’arrivent pas à confronter leurs conjoints sur leur infidélité, mais surtout, à force de passer du temps ensemble, M. Chow et Mme Chan développent des sentiments amoureux, qu’ils refusent de s’avouer. Impossible également pour eux de passer à l’acte, de peur de devenir comme leurs époux. Ils arrivent donc à se créer une sorte de bulle entre eux, où il leur est possible de contrôler leurs sentiments et ainsi, leur propre trahison, repoussant le plus possible le moment où ils devront regarder la réalité en face.

De plus, ils sont sous la pression des commérages de leurs voisins, devant faire attention aux apparences pour ne pas laisser des rumeurs circuler à leur sujet. Garder son honneur aux yeux de la société est un enjeu majeur dans la culture asiatique, et l’on peut facilement imaginer que dans les années 60, l’infidélité était davantage mal vue qu’à notre époque.

Ce double adultère est amené avec des idées assez intéressantes, comme le fait de ne filmer les conjoints seulement de dos, ou en évitant soigneusement de montrer leur visage, comme si ils étaient inexistants. Ainsi, on se concentre uniquement sur M. Chow et Mme Chan. La dynamique entre les deux est assez ironique au départ, car lorsqu’ils découvrent le pot-aux-roses, ils décident de jouer des scènes de séduction en indiquant à l’autre ce que leur conjoint aurait pu dire ou faire dans cette situation. Une démarche qui leur permet d’éviter de se morfondre, mais aussi de tenter de comprendre comment cela a pu arriver. Sauf que ce petit jeu d’acteur va se retourner contre eux…

Le cinéaste porte une attention particulière au temps, il l’accélère parfois, en enchaînant des ellipses, mais il l’étend aussi, à travers de nombreux ralentis élégants quand les personnages se déplacent ou se croisent. Il ne se contente de montrer que ce qui est pertinent à l’histoire, souvent comme des fragments de souvenirs, par exemple lorsque M. Chow et Mme Chan se croisent en allant chercher des nouilles, juste le temps de montrer les regards qu’ils s’échangent.

C’est d’ailleurs toute la beauté du film, cette relation amoureuse inavouée, et pourtant subtilement évidente à travers des regards, des sourires, des contacts… Comme sa façon de la regarder quand il la croise dans les escaliers, et de détourner le regard quand elle le remarque… Des petits gestes qui veulent dire beaucoup, sublimés par les ralentis et la musique envoûtante de Shigeru Umebayashi.

La musique a une place capitale dans la filmographie du cinéaste, irriguant tous ses films. Il choisit très souvent une ou deux musiques (orchestrale ou chanson), et les répète tout au long du film, pour créer une sorte de leitmotiv qui représentera l’ambiance du film. Une des forces du métrage est qu’il réussit à éviter toute mièvrerie, là où des occidentaux en auraient fait des caisses sur l’émotion, ici il se dégage une grâce pudique, symbolisant les tourments des personnages. C’est une des représentations les plus émouvantes de l’amour, et également une des plus nuancées sur les sentiments amoureux.

In the Mood for Love est d’une beauté visuelle majestueuse, et Wong Kar-wai un esthète incroyable, mais ce film est probablement son sommet dans la mise en scène. Tony Leung, un des meilleurs acteurs au monde, et habitué des films du cinéaste Hong-Kongais, est d’une classe sans pareille, livrant un performance d’une subtilité impressionnante, qui lui a valu le Prix d’Inteprétation à Cannes en 2000. Maggie Cheung offre une prestation à fleur de peau, et d’une élégance rare, portant une collection de robes traditionnelles magnifiques tout au long du film.

Il est certain que vous ne pourrez rester indifférent devant cette sublime histoire, mais aussi face à ces images absolument somptueuses, dont la mise en scène, très inspirée, opère des mouvements de caméra et des compositions de plans véritablement uniques. La photographie de Christopher Doyle apporte une variété de couleurs et de lumières toutes plus belles les unes que les autres. Une poésie visuelle de chaque instant, qui démontre encore une fois à quel point Wong Kar-wai est un metteur en scène de génie. Le film romantique par excellence, et incontestablement une des plus grandes oeuvres du 21ème siècle.

Actuellement au cinéma en version restaurée 4K.

Bande-annonce :

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