Dès lors qu’un film sur l’un des plus célèbres méchants de la pop-culture fût annoncé, avec Joaquin Phoenix, l’un des meilleurs acteurs actuels pour l’interpréter, l’intérêt pour le projet commença à grandir fortement. La seule variable inconnue dans l’équation était l’apport de Todd Phillips à la réalisation et au scénario, lui qui avait jusqu’ici fait des comédies assez grasses comme Date Limite, ou les trois Very Bad Trip.
Puis vint la Mostra de Venise où il fût couronné en septembre du Lion d’Or. La récompense ultime pour le meilleur film de la compétition (l’an dernier le lauréat était le sublime Roma d’Alfonso Cuarón). A partir de là, les attentes furent décuplées de manière exponentielle.
Enfin sortie dans nos salles obscures, que vaut cette nouvelle adaptation du clown prince du crime ?

Joker nous raconte l’histoire d’Arthur Fleck, clown et aspirant comique, et de sa descente aux enfers le menant à la folie la plus totale, pour devenir celui que l’on connaît comme étant l’ennemi juré de Batman. Alors, pour commencer, la performance de Joaquin Phoenix est absolument exceptionnelle, dans le haut du panier de sa carrière. Il était certes prévisible de le voir à ce niveau du fait de son immense talent (si ce n’est toujours pas fait, regardez Walk the Line, Two Lovers, Her, et The Master), mais quel régal ! Sans mauvais jeu de mots, sa prestation est tout simplement démente. Il serait temps de le récompenser d’un Oscar d’ailleurs. Il est épaulé très solidement par le grand Robert De Niro, mais aussi par les très justes Frances Conroy et Zazie Beetz.
La mise en scène de Todd Phillips est de bonne facture, avec quelques fulgurances lors de certaines séquences. On a également un excellent travail sur la photographie du film avec de très beaux plans usant de divers jeux de lumière et de couleurs. La ville de Gotham est très bien filmée, rendant compte d’un environnement poisseux, en pleine ébullition. La bande-son est également très réussie et colle parfaitement à l’atmosphère du film.
On sent aussi que le cinéaste s’est très grandement inspiré (frôlant le plagiat) de deux oeuvres de Martin Scorsese : Taxi Driver (1976), et La Valse des Pantins (1982). Ces 2 films présentent divers points communs entre eux, que l’on peut retrouver aussi dans Joker.
Chacun traite d’un personnage en marge de la société tentant de s’y faire une place mais constamment rejeté, ce qui l’amène à s’enfoncer dans la folie et la violence. Chacun des personnages est incarné par Robert De Niro, présent aussi dans Joker, dans lequel on va retrouver des scènes similaires, comme celle où Arthur, torse nu, contemple un pistolet au bout de son bras, rappelant Travis Bickle dans Taxi Driver. On peut penser aussi à sa fascination pour un talk-show américain, comme l’aspirant comique Rupert Pupkin dans La Valse des Pantins. Chose amusante d’ailleurs, Robert De Niro incarne dans Joker un présentateur télévisé, ce qui est exactement ce que son personnage dans le film de Scorsese espérait devenir.
Ces influences ne se traduisent pas que dans les différents parallèles des personnages, mais aussi dans le climat anxiogène et cynique qui se dégage du film de Todd Phillips. Autre bonne chose à noter : le fait que les références à l’univers DC Comics qu’il adapte ne viennent pas trop prendre le pas sur le récit.

En revanche, outre une interprétation brillante et un excellent travail visuel, le scénario ne semble pas assez étoffé. La colonne vertébrale du récit est construite de manière très efficace et a du sens, mais le tout reste peu original et peu développé.
Certes, pour une adaptation de comics s’adressant à un public très large, on a effectivement un film qui sort de l’ordinaire, avec une vraie ambition artistique au milieu de ce marasme de super-productions sans âme, et ça fait du bien. Mais si l’on replace le film à travers son propos et ce qu’il veut montrer à travers son personnage, et bien malheureusement, rien de nouveau à l’horizon. On est simplement martelés peu subtilement d’un constat de surface d’une société en crise, où les puissants écrasent les pauvres, devenant peu à peu de véritables laissés pour compte, sans aucune aide sociale. Et le film n’arrête pas de donner l’illusion d’une profondeur à ce discours, alors qu’il ne va pas plus loin que ce constat.
L’évolution du personnage d’Arthur Fleck semble quant à elle peu organique, où les différentes humiliations subies semblent un peu forcées, toujours plus grosses que ce qu’elles pourraient être, pour l’enfoncer davantage dans les ténèbres. Il en devient presque prévisible, pour un personnage censé être l’opposé total. Le Joker perd même l’essence de ce qui est fascinant chez lui, à savoir ses origines mystérieuses. A vouloir lui donner un background, une vraie psychologie avec des troubles mentaux dûs aux différents problèmes auxquels il se confronte dans sa vie (la société, sa mère…), il perd ce qui le rendait aussi effrayant que passionnant à suivre. On a toujours plus peur de qu’on ne comprend pas, de l’inexplicable, que de quelque chose de rationnel.
Si en termes d’écriture, humaniser un personnage destiné à basculer dans la violence est intéressant, ça l’est un peu moins quand on parle du Joker, et par ailleurs, ce type de personnage a déjà été bien mieux traité dans les films de Scorsese cités plus haut, voire même, dans Fight Club de David Fincher.
A propos des influences, Todd Phillips livre un film totalement écrasé par ses inspirations Scorsesiennes. D’autres références chez des cinéastes comme Sidney Lumet (Network) sont plus subtilement digérées, mais force est de constater que si vous avez vu Taxi Driver et La Valse des Pantins, et bien…vous avez déjà vu Joker. Outre les différents personnages et leur psychologie qui se ressemblent énormément, certaines scènes semblent presque intégralement copiées sur ces deux oeuvres de Martin Scorsese. Embarrassant.
Pour conclure, ce Joker édition 2019 bénéficie de la performance de génie de Joaquin Phoenix et d’une superbe mise en scène, mais peine à convaincre totalement avec un scénario contenant des thématiques fortes mais restant en surface. Un plutôt bon film tout de même, assez dérangeant, mais très loin du chef d’œuvre annoncé. En cela, il aurait été plus raisonnable d’attribuer le Lion d’Or à Ad Astra de James Gray (dont la critique est toujours disponible), et de s’en tenir à un Prix du Meilleur Acteur. Reste que c’est une proposition de cinéma intéressante, et étonnante dans le paysage Hollywoodien actuel. Si son succès pouvait encourager les studios à produire d’autres projets de ce type, ce serait déjà un grand pas.
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