De retour après les excellents The Lobster et Mise à Mort du Cerf Sacré, Yorgos Lanthimos s’attaque à un film d’époque, cette fois sans dimension fantastique ou science-fiction, mais avec un ton humoristique qui contraste avec l’atmosphère pesante de ses précédents films.
La Favorite met en scène un duel de manipulations entre Lady Sarah (Rachel Weisz) et Abigail (Emma Stone), l’une attirée par le pouvoir politique, l’autre par un haut statut social perdu. Pour atteindre leur but, elles devront se disputer les faveurs de la Reine Anne (Olivia Colman), au caractère bien particulier.
Les trois actrices sont assez exceptionnelles et sont la véritable colonne vertébrale du film. Olivia Colman n’a pas volé ses prix d’interprétation à la Mostra de Venise et plus récemment aux Golden Globes, puisqu’elle nous livre sa meilleure performance depuis la superbe série Broadchurch. Elle est à la fois insupportable, attachante et drôle en Reine capricieuse rongée par des crises de goutte. Rachel Weisz, qui retrouve le cinéaste grec et Olivia Colman après The Lobster, est délicieusement effrayante et charismatique. Emma Stone, quant à elle, nous propose à nouveau une interprétation très nuancée, aussi maladroite que naïve, mais également capable d’une grande cruauté. Le film est orné d’une certaine quantité de dialogues absolument exquis, rendant ce jeu de dupes assez jubilatoire.

Vous l’aurez peut-être déjà compris, mais il est intéressant de noter qu’ici, ce sont les femmes qui sont au pouvoir. Les hommes sont en effet relégués à faire la guerre, organiser des courses d’oies ou à faire des batailles d’oranges. Par conséquent, le seul acteur qui tire véritablement son épingle du jeu est Nicholas Hoult, parfait dans ce rôle d’homme de cour odieux, calculateur mais ridicule.
Avec un souci du détail sur la composition des cadres, les décors et les costumes, Lanthimos se rapproche de l’esthétique de Barry Lyndon, le chef d’œuvre de Stanley Kubrick. La photographie est sublime, jouant sur les lumières naturelles, notamment avec les bougies qui éclairent les sombres couloirs du château. Si le cinéaste use de nombreux plans fixes et de travellings, ce sont probablement les mouvements panoramiques qui attirent le plus notre attention. Cela crée un effet de mouvement de tête qui se retourne pour découvrir un décor, un personnage ou une action.
Mais ce qui est davantage intéressant ici, c’est l’usage d’une très courte focale permettant une grande profondeur de champ, et provoquant par conséquent une déformation des extrémités du cadre, presque comme si l’on regardait à travers le judas d’une porte. Cet artifice renforce le côté voyeuriste de la narration, rendant le spectateur espion de ces manipulations.

Comme évoqué précédemment, le long-métrage dispose d’un ton humoristique très marqué, à travers les dialogues et situations, mais Yorgos Lanthimos n’oublie pas d’y installer de la tension, marquée par le caractère imprévisible de certains personnages, et par la musique, rythmée et lancinante.
Sous couvert de film d’époque où se mêlent manipulations, jalousie et situations absurdes, La Favorite s’apparente fortement à une Fable, proche du Corbeau et le Renard de La Fontaine, où « tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute ». Jusqu’où ce duel d’égo va mener Sarah et Abigail ? La Reine va-t-elle se rendre compte de leur petit jeu ? Ces enjeux permettent de maintenir un certain suspense, tout en gardant le spectateur impliqué grâce à des répliques jouissives, et des actrices qui prennent un véritable plaisir à incarner ces personnages aussi distingués que pathétiques.
Actuellement, La Favorite est à égalité avec Roma pour le plus grand nombre de nominations (10) aux Oscars cette année. Rendez-vous donc le 24 février.
Bande-annonce :